
C’est un beau drame, qui s’efforce de redonner vie au texte biblique bien connu, et qui y parvient en allant dans trois directions à la fois: la première, la plus simple, insère le lecteur et le spectateur dans la vie de famille de Job, ses soucis professionnels, renouant avec l’image claire de sa vie privée; la deuxième, plus osée, consiste à relier Job à l’idylle antique et aux spectacles baroques, en plaçant des danses, de la musique, et même des animaux parlants sur scène, intégrant l’histoire de Job au merveilleux occidental, et lui faisant ainsi perdre son caractère abstrait; la troisième est de donner la possibilité à Dieu et à Lucifer d’intervenir dans l’action sans être réduits à des personnages humains: le drame se fait alors symboliste, Dieu et Lucifer étant représentés par deux toiles diversement éclairées, avec des jeux de lumière et de couleurs qui accompagnent leurs paroles solennelles et les rendent ainsi vivants. Le soleil est peint sur la toile de Dieu, et de cette sorte la nature est impliquée.
Pour autant, Dieu ne perd rien de sa majesté. Lorsqu’il s’exprime, il impressionne, évoquant le Secret Ultime que Job connaîtra s’il le suit aux Sources de l’Univers: les mots parlent à l’homme contemporain, quoiqu’ils reprennent de vieux mystères.
Le texte est en vers bien rythmés, qui parfois riment, et tendent à être libres, mais s’appuient sur des accents toniques, des cohérences de souffles. Et il raconte l’histoire bien connue de Job qui croit que tout va être facile pour lui, que ses enfants ne seront pas tués par les brigands parce que lui-même est un fidèle serviteur de Dieu: en cela il est trompé. Mais il parvient à distinguer la lumière suprême, dont il se sent soudain entouré, et à voir que l’amour de l’être suprême doit être illimité et ne doit rien attendre en retour. Cela choque les sages, qui l’abandonnent, mais Dieu lui apparaît et le comble d’honneurs.
Pour terminer sur une note optimiste, Galliano Perut amène Job à user de clémence vis-à-vis des meurtriers de ses enfants qu’on a capturés: je ne sais si cela est dans le texte original, je n’en ai pas souvenir, et l’ai lu deux fois. Je ne vérifierai pas, mais je dois dire que cet excès de clémence m’a surpris.
Ce qui est remarquable, c’est que pour un texte se réclamant de la Réforme, cette Histoire de Job est pleine d’effets lumineux, d’êtres divins descendant presque sur scène, de merveilleux, et les animaux parlants confinent à l’animisme, se voient en tout cas plus volontiers dans les contes et la littérature médiévale que dans la Bible. Il s’agit d’une religiosité riche, chaleureuse, pleine d’amour, que Galliano Perut a voulu placer sur scène, mais une religiosité cosmique, aussi, et ne perdant rien en noblesse, en dignité. Plus que Calvin, elle me rappelle Sébastien Castellion, qui avait, avec sa chaleur d’âme caractéristique - tirée, peut-être, de ses origines paysannes -, mêlé, dans une églogue en latin, la Nativité de Jésus avec les Bucoliques de Virgile, l’amour des bergers devenant celui de l’Enfant divin et des anges.